Du cannabis médical aux thérapies à la psilocybine : l’avenir réglementaire des « champignons magiques »

  • Il y a quelques semaines, le magazine Forbes publiait un article sur les frères Stanley, rendus célèbres il y a plus de dix ans pour avoir créé une variété de cannabis riche en CBD, baptisée Charlotte’s Web.
  • Aujourd’hui, les frères se consacrent à un nouveau projet : Ajna BioSciences, une entreprise qui vise à développer des médicaments à base de psilocybine destinés à traiter l’autisme, la dépression et le trouble de stress post-traumatique (TSPT).
  • Le présent article va au-delà de cette actualité superficielle pour aborder un phénomène plus vaste et plus profond qu’est l’intégration progressive de la psilocybine dans la médecine. Qu’est-ce que cette substance ? Quelles preuves soutiennent son efficacité thérapeutique ? Et comment la réglementer pour en garantir un usage juste et sûr ?

L'affaire Charlotte Figi : un tournant pour le cannabis médical

Les frères Stanley sont devenus célèbres après une interview donnée à CNN où ils évoquaient le cas de Charlotte Figi, une fillette américaine souffrant d'une forme d'épilepsie très sévère. Grâce à une teinture de CBD qu'ils avaient mise au point, ses crises sont passées de 300 par jour à 3 par mois.

Cette révolution a radicalement modifié la perception du cannabis, accélérant la mise en place de lois encadrant son usage thérapeutique dans de nombreux pays. Aujourd'hui, les frères Stanley refont parler d'eux avec un nouveau projet : AJA001, un médicament botanique dérivé du cannabis et de la psilocybine.

Ce traitement a déjà franchi la phase I des essais cliniques et se prépare à affronter la phase II sous la supervision de la Food and Drug Administration (FDA) américaine.

Un cas particulier qui illustre une dynamique plus large : l'entrée de la psilocybine dans le champ de la médecine moderne.

Qu'est-ce que la psilocybine ?

La psilocybine est un composé psychoactif présent dans plus de 200 espèces de champignons, couramment appelés « champignons magiques ». Cette substance agit principalement sur les récepteurs de la sérotonine (5-HT2A) du cerveau, provoquant une altération temporaire de la perception, des émotions et de la cognition.

En environnement clinique contrôlé, la psilocybine a démontré un fort potentiel thérapeutique, notamment capable de restructurer des schémas mentaux rigides, de réduire les symptômes dépressifs et de réguler les émotions.

Contrairement à de nombreux médicaments traditionnellement utilisés en psychiatrie, la psilocybine présente une toxicité faible, aucun risque de dépendance physique significative et est considéré comme relativement sûre.

De la tradition à la science : petite histoire de la psilocybine

Les champignons hallucinogènes sont consommés par les hommes depuis bien longtemps, bien qu'ils n'aient gagné en notoriété que récemment, grâce aux coffee shops néerlandais.

Dans certaines cultures mésoaméricaines, comme chez les Mazatèques d'Oaxaca (Mexique), la psilocybine était utilisée à des fins rituelles et médicinales. C'est dans les années 1950 que l'ethnomycologue R. Gordon Wasson redécouvrit ces pratiques grâce à sa rencontre avec María Sabina, une guérisseuse qui l'initia aux cérémonies traditionnelles impliquant la consommation de champignons à des fins médicales et hallucinogènes.

Dans les années 1960, les « champis » devinrent emblématiques de la contre-culture hippie américaine, ce qui conduisit à leur interdiction dans les années 1970, en pleine « guerre contre les drogues ».

Après des décennies de prohibition, la communauté scientifique s'y intéresse à nouveau. Aujourd'hui, des institutions de renom telles que l'Université Johns Hopkins, la New York University ou l'Imperial College de Londres pilotent des recherches cliniques sur son potentiel thérapeutique.

Recherches cliniques et applications thérapeutiques de la psilocybine

La recherche sur la psilocybine progresse. Les progrès sont lents, certes. Mais les résultats sont prometteurs.

Les essais cliniques les plus récents suggèrent sont efficacité dans le traitement de :

La dépression chronique ou résistante aux traitements classiques

L'anxiété liée à des maladies incurables ou en phase terminale

  • Les addictions (alcool, tabac)
  • Les troubles du comportement alimentaire
  • Le TSPT (trouble de stress post-traumatique)

En 2018, la FDA a accordé à la psilocybine le statut de "Breakthrough Therapy" pour le traitement de la dépression, une désignation qui permet d'accélérer les procédures bureaucratiques et administratives en raison de son important potentiel thérapeutique.

Même si les données sont encore limitées, elles suggèrent que la psilocybine pourrait s'avérer un outil thérapeutique précieux, à condition d'être administrée de manière contrôlée et sous supervision médicale. Comme l'explique Dr Leor Roseman, de l'Université d'Exeter : « On ne peut pas considérer les psychédéliques comme des thérapies indépendantes sans prendre en compte leur contexte d'usage. Cela pose des défis importants pour la régulation de la psychothérapie assistée par psychédéliques. »

Le débat est lancé : comment réglementer la psilocybine de manière juste et sûre ?

À mesure qu'avancent les recherches, le débat sur la réglementation de la psilocybine bat son plein. Comment assurer leur sécurité de tous sans bloquer l'accès à cette substance prometteuse ? La psilocybine sera-t-elle réservée à quelques groupes pharmaceutiques puissants ?

L'approbation d'un médicament nécessite des essais cliniques longs, complexes et coûteux que, généralement, seuls les grands groupes peuvent financer. D'où un sérieux risque de monopolisation du marché par les grands laboratoires.

Une solution possible consisterait en une participation de l'État dans le financement des recherches cliniques via des subventions publiques, réduisant ainsi la dépendance au capital privé.

On pourrait prendre exemple sur le modèle colombien de réglementation du cannabis : l'état y soutient activement l'émergence d'une industrie locale à travers un hub réglementaire intégré, afin de favoriser le développement du secteur à tous les niveaux.

Sommes-nous à l'aube d'une nouvelle industrie ?

Parallèlement aux médicaments à base de psilocybine, des recherches sur les microdoses combinées à des psychothérapies sont également en cours. Peu à peu, la psilocybine perd son statut de tabou pour s'imposer comme un nouvel outil prometteur dans le traitement de la santé mentale.

La production de médicaments certifiés, comme le souhaite Ajna BioSciences, pourrait représenter un pas décisif vers la sécurité, la régulation et l'accessibilité à cette substance pleine de promesses pour tous les patients qui en ont besoin.

Il faut toutefois maintenir ouvert le débat sur la construction d'un cadre juridique et éthique garantissant un accès équitable, une sécurité thérapeutique et un respect des savoirs traditionnels.

Le recours aux thérapies à base de champignons psychédéliques pourrait bien marquer un tournant majeur en médecine, à condition de bâtir cette transition sur les principes de responsabilité, d'inclusion et de vision à long terme.

Références

  1. Therapeutic Revolution. Neuropharmacology. 2023 Sep 15;236:109610.
  2. Kamal S, Jha MK, Radhakrishnan R. Role of Psychedelics in Treatment-Resistant Depression. Psychiatr Clin North Am. 2023 Jun;46(2):291–305.
  3. Wingert AM, Agnorelli C, Peill J, et al. Serotonergic psychedelics for depression: A comprehensive overview. Int Rev Neurobiol. 2025;181:271–304.
  4. Psiuk D, Nowak EM, et al. Esketamine and Psilocybin – The Comparison of Two Mind-Altering Agents in Depression Treatment: Systematic Review. Int J Mol Sci. 2022 Sep 28;23(19):11450.
15/07/2025

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